L’impact de DeepSeek s’étend désormais à l’ensemble du tissu industriel technologique chinois. Au-delà des banques et des hôpitaux, ce sont aussi les entreprises de secteurs comme la téléphonie mobile, l’automobile ou internet qui intègrenacht le modèle d’IA dans leurs produits et services.
Quelques mois après le lancement de R1, des noms bien connus du grand public figurent sur la liste des clients de DeepSeek : le fabricant de smartphones OPPO, le champion des véhicules électriques BYD, ou encore le moteur de recherche Baidu ont tous conclu des partenariats ou développé des applications s’appuyant sur la technologie de la startup.
Dans le cas d’OPPO, DeepSeek serait utilisé pour améliorer l’assistant virtuel intégré aux téléphones de la marque. Les modèles V3 et R1 de DeepSeek, réputés pour leur efficacité, auraient été déployés en coulisses pour offrir aux utilisateurs d’OPPO une expérience proche de ChatGPT directement sur leur appareil, sans passer par les serveurs d’OpenAI.
Cette solution maison présente le double avantage d’être peu coûteuse en ressources (grâce à l’optimisation de DeepSeek pour des chips moins puissants) et de garantir que les données des utilisateurs chinois restent traitées localement – un argument important en termes de souveraineté numérique.
Un responsable d’OPPO cité dans la presse spécialisée souligne que l’incorporation de DeepSeek a permis d’entraîner un modèle conversationnel spécifique à leurs smartphones en un temps record, pour assister les usagers dans des tâches du quotidien (réglages, suggestions de photos, messagerie intelligente) avec une qualité de réponse inédite.
Du côté de BYD, géant chinois de l’automobile électrique, l’apport de DeepSeek se matérialise dans les tableaux de bord des véhicules. BYD a en effet développé, en partenariat avec DeepSeek, un prototype d’assistant de conduite intelligent.
Ce système, directement embarqué dans certaines voitures haut de gamme de la marque, dialogue avec le conducteur en langage naturel pour fournir des informations contextuelles (état du véhicule, itinéraire, diagnostics en cas d’alerte technique) et même des conseils d’éco-conduite personnalisés.
L’IA peut par exemple expliquer de manière pédagogique comment adapter sa conduite pour économiser la batterie, en s’appuyant sur la compréhension fine des requêtes du conducteur. Là encore, l’enjeu est d’offrir une expérience utilisateur améliorée grâce à l’IA conversationnelle, sans dépendre des solutions américaines.
BYD a vanté le faible coût de développement de cet assistant, rendu possible par l’utilisation de la version distillée de DeepSeek-R1 optimisée en taille pour les terminaux embarqués. Cette version allégée, parfois nommée R1-Distill, aurait été entraînée conjointement par DeepSeek et Huawei sur la base du modèle complet, puis intégrée au système d’exploitation des véhicules BYD.
Les premiers retours d’utilisateurs pilote signalent une grande fluidité des interactions vocales, bien supérieure aux anciens assistants limités à des commandes figées.
Quant à Baidu, l’adoption de DeepSeek a de quoi surprendre au premier abord, puisque Baidu dispose de son propre grand modèle (ERNIE) et mène la course à l’IA en Chine depuis des années. Cependant, d’après des sources dans la presse économique, Baidu aurait commencé à utiliser DeepSeek en interne pour certaines tâches spécifiques de son moteur de recherche.
Par exemple, DeepSeek servirait de module de relecture et de synthèse pour certains résultats complexes, ou d’outil de génération de réponses directes dans le style snippet affiché en tête de page. En clair, plutôt que de réentraîner immédiatement son modèle maison pour combler son retard, Baidu tirerait parti du travail de DeepSeek pour offrir de meilleures réponses à ses utilisateurs, le temps de combler l’écart.
Cette collaboration tacite signale une forme de reconnaissance pragmatique : DeepSeek est devenu une technologie suffisamment incontournable pour que même ses concurrents nationaux y recourent dans l’urgence.
D’ailleurs, des rumeurs évoquent des discussions entre Baidu et DeepSeek pour une licence plus formelle, qui permettrait à Baidu d’intégrer plus largement R1 dans son écosystème moyennant rétribution – une manière d’allier les forces plutôt que de s’affronter frontalement.
Ces exemples montrent que DeepSeek est en voie de s’insérer comme un ciment de l’innovation industrielle en Chine. D’autres secteurs commencent à suivre. Dans l’e-commerce, Alibaba a expérimenté DeepSeek pour la génération automatisée de fiches produits multilingues sur ses plateformes internationales, gagnant du temps dans la mise en ligne de millions de descriptions d’articles.
Dans les jeux vidéo, Tencent s’intéresse à R1 pour créer des personnages non-joueurs (PNJ) à la conversation plus naturelle dans ses futurs titres de métavers, ce qui pourrait révolutionner l’immersion des joueurs.
Et dans la productivité, ByteDance travaillerait sur un équivalent de GitHub Copilot alimenté par DeepSeek pour booster la vitesse de codage de ses développeurs. L’ensemble de ces initiatives témoigne d’une adoption protéiforme : DeepSeek n’est pas un produit unique, c’est un socle technologique modulable qui vient s’insérer discrètement dans d’autres offres pour les rendre plus intelligentes.
Le soutien affiché des plus hautes autorités chinoises amplifie cette tendance. Liang Wenfeng, le fondateur de DeepSeek, a été convié comme expert lors de plusieurs réunions stratégiques sur l’autonomie technologique du pays en 2025. Son message y est clair : DeepSeek aspire à devenir l’infrastructure IA universelle de la Chine, prête à servir de base à quiconque veut innover rapidement.
À la manière d’un Linux pour l’IA, ouvert et personnalisable, DeepSeek se met au service d’acteurs très divers, de la startup au conglomérat établi. Si la dynamique se poursuit, on peut imaginer qu’à terme, une part significative des smartphones, voitures, moteurs de recherche et autres produits « smart » chinois embarqueront une pièce de technologie estampillée DeepSeek.
C’est en tout cas le pari qu’on semble faire à Pékin : celui d’un écosystème unifié autour d’un champion national de l’IA, dont les retombées profiteraient à l’ensemble de l’industrie high-tech du pays.