L’irruption de DeepSeek sur la scène de l’IA a eu des répercussions inattendues au-delà du secteur numérique – notamment dans l’industrie de l’énergie.
En effet, le modèle révolutionnaire de la startup chinoise remet en cause une idée largement répandue : celle d’une explosion inéluctable des besoins en électricité pour faire tourner les intelligences artificielles de plus en plus puissantes.
Lorsque DeepSeek a révélé avoir développé son modèle R1 avec environ 2 000 processeurs graphiques seulement (des Nvidia A100 et H800) – là où l’on pensait qu’il en faudrait dix fois plus – les investisseurs ont immédiatement compris les implications potentielles.
Si l’on peut entraîner un système de pointe en mobilisant beaucoup moins de puissance de calcul, c’est tout le modèle économique des centres de données énergivores qui pourrait être bousculé.
Dès le 28 janvier 2025, alors que l’onde de choc DeepSeek se propageait, les marchés boursiers ont vu les actions de plusieurs fournisseurs d’énergie chuter brusquement, comme si l’on anticipait un futur moins gourmand en électricité pour l’IA.
Le titre du géant Constellation Energy, engagé dans la construction de nouvelles centrales dédiées au cloud, a ainsi plongé de plus de 20 % en une séance.
La question posée est la suivante : DeepSeek annonce-t-il l’avènement d’une IA moins énergivore ? Jusqu’ici, l’essor des modèles de langage laissait présager un envol exponentiel de la consommation électrique, nourrissant l’essor des data centers et même des projets de centrales nucléaires privées pour alimenter ces cerveaux numériques géants.
En 2023, Google, Microsoft et Amazon ont investi des sommes colossales (l’équivalent de 0,5 % du PIB américain) dans la construction de centres de données. L’Agence Internationale de l’Énergie projetait même un doublement de la consommation électrique des serveurs mondiaux d’ici 2025, la portant à un niveau proche de la consommation annuelle du Japon.
Or, l’exemple de DeepSeek suggère qu’une part de ces investissements pourrait ne plus être nécessaire si l’efficacité des algorithmes progresse plus vite que leur appétit en calcul.
Des experts tempèrent néanmoins l’enthousiasme. L’effet Jevons, concept économique bien connu, stipule que les gains d’efficacité ont souvent pour corollaire une augmentation de la demande globale.
Dans le cas de l’IA, Satya Nadella, PDG de Microsoft, a réagi en déclarant sur X (ancien Twitter) : « Plus l’IA sera efficiente et accessible, plus son utilisation explosera – jusqu’à devenir une commodité dont on ne se passe plus ».
Autrement dit, si DeepSeek réduit le coût unitaire des calculs, cela pourrait simplement encourager l’utilisation de l’IA dans une multitude de domaines, annulant les économies d’énergie potentielles à l’échelle macro.
Par ailleurs, Andrew Lensen, chercheur en IA en Nouvelle-Zélande, souligne que DeepSeek repose sur un modèle à « raisonnement par étapes » (chain-of-thought) qui, paradoxalement, exécute plusieurs opérations intermédiaires pour chaque requête et peut donc consommer davantage d’énergie qu’un modèle répondant directement.
Ce type de modèle était jusque-là trop cher à faire tourner, mais les gains d’efficacité de DeepSeek pourraient le populariser malgré son coût énergétique marginalement plus élevé par requête.
Lensen anticipe donc que les acteurs américains s’inspireront de DeepSeek non pour réduire la taille de leurs modèles, mais pour construire des systèmes encore plus vastes offrant plus de capacités au même budget énergétique. En somme, l’électricité économisée d’une main serait réinvestie de l’autre dans des IA toujours plus puissantes.
Reste que le signal envoyé aux énergéticiens est fort. L’hypothèse d’un monde où l’IA n’est pas nécessairement synonyme de gouffre énergétique prend corps.
Pour les opérateurs de data centers, c’est un appel à miser encore davantage sur l’innovation en matière d’efficacité (refroidissement, puces spécialisées…) pour rester compétitifs.
Pour les stratèges de la transition écologique, c’est peut-être une lueur d’espoir : la trajectoire d’explosion de la consommation pourrait être infléchie si les DeepSeek et consorts tiennent leurs promesses en multipliant les optimisations.
Bien sûr, il est trop tôt pour réviser les plans d’expansion des réseaux électriques sur un seul cas, mais l’« effet DeepSeek » ouvre un débat salutaire.
Comme l’a écrit avec humour un analyste financier : « DeepSeek illustre la menace que font peser les gains d’efficacité informatique sur les producteurs d’énergie ».
Les prochaines années diront si cette menace se concrétise ou si, au contraire, l’essor de l’IA continuera de rimer avec boulimie énergétique malgré quelques percées isolées.