Objectif AGI : le fondateur de DeepSeek trace la voie de l’IA chinoise

Derrière l’ascension de DeepSeek se trouve un homme discret mais visionnaire : Liang Wenfeng, co-fondateur de la société et véritable architecte de sa stratégie.

Ancien prodige de la finance quantitative et co-créateur du hedge fund High-Flyer Capital, Liang s’est lancé dans l’IA en 2023 avec une ambition affichée : atteindre l’AGI (intelligence artificielle générale) avant les Américains.

Dans de rares interviews accordées à des médias chinois en 2025, il a exposé sa philosophie et les choix audacieux qui ont fait le succès de DeepSeek. Son leitmotiv : innover radicalement tout en gardant une structure légère, loin des pesanteurs des géants technologiques.

Liang Wenfeng, 39 ans, est souvent décrit comme un personnage énigmatique, préférant l’ombre des laboratoires à la lumière médiatique. Pourtant, il a joué un rôle central dès l’origine du projet.

Au sein de High-Flyer, son fonds d’investissement, Liang a décidé début 2023 de « tout recommencer à zéro » en concentrant les ressources sur la création d’une nouvelle unité de recherche indépendante dédiée à l’AGI. C’est de cette cellule qu’est née DeepSeek.

Liang a puisé dans les talents des meilleures universités chinoises pour constituer une petite équipe de jeunes chercheurs triés sur le volet, n’hésitant pas à recruter des doctorants brillants sortis de Tsinghua ou de l’Université de Pékin en leur offrant une liberté totale d’exploration.

Il a financé l’entreprise sur fonds propres, refusant l’argent des capital-risqueurs pour ne pas subir de pression extérieure – un choix qui lui permet de garder 84 % du capital et d’orienter DeepSeek selon sa seule vision.

Son pari initial était que les grandes entreprises, en particulier en Chine, étaient trop bureaucratiques et dépensières pour gagner la course à l’IA.

« Les géants de la tech ont leurs limites : leurs structures pyramidales et leurs coûts faramineux les empêchent d’innover vite », confiait-il dans un entretien à Waves en juillet 2025. À rebours, Liang a organisé DeepSeek comme un laboratoire agile, privilégiant une gestion horizontale, l’expérimentation rapide et la prise de risque.

Cette approche lui a permis de tenter l’aventure de l’apprentissage par renforcement intégral qui a fait le succès de R1, alors que peu d’acteurs établis auraient osé s’écarter autant des méthodes conventionnelles. « Nous nous moquons des guerres de prix ou des comparaisons immédiates, notre but est ailleurs », aime-t-il répéter.

Ce but, c’est l’AGI : la création d’une intelligence artificielle capable de surpasser l’humain dans la plupart des tâches économiques. Une vision à long terme qui explique pourquoi DeepSeek n’hésite pas à rendre ses modèles gratuits et open source : la startup ne cherche pas à maximiser les profits à court terme, mais à accélérer le progrès global de l’IA, en pariant qu’elle saura en récolter les fruits plus tard.

Les convictions de Liang Wenfeng ont trouvé un écho favorable auprès du gouvernement chinois. Sa présence le 20 janvier 2025 à une réunion privée organisée par le Premier ministre Li Qiang, le jour même du lancement de R1, a marqué les esprits.

Liang y a présenté la démarche de DeepSeek comme alignée sur les objectifs nationaux – notamment contourner les restrictions américaines et démocratiser l’accès à l’IA en Chine – tout en insistant sur l’aspect humaniste de son projet.

Dans un discours qui a depuis circulé sur les réseaux sociaux chinois, il déclarait : « L’AGI ne doit pas être la chasse gardée d’une poignée de milliardaires de la Silicon Valley.

Si nous voulons qu’elle serve réellement l’humanité, nous devons impliquer la communauté scientifique mondiale et la rendre accessible. C’est ce que DeepSeek s’efforce de faire ». Ce discours a été accueilli favorablement par les autorités, ravies de voir une entreprise chinoise prendre un leadership moral dans ce domaine de pointe.

Liang n’en demeure pas moins conscient des défis. En interne, il a reconnu que le chemin vers l’AGI restait long et semé d’embûches. Après R1, ses équipes planchent sur un hypothétique R2 qui pousserait encore plus loin le concept de « modèle pensant ».

Mais la barre est haute : il s’agirait d’intégrer une forme de mémoire de long terme, d’améliorer l’autonomie de l’IA et d’approcher une compréhension plus profonde du monde réel. Les ressources nécessaires seront sans commune mesure avec celles mobilisées pour R1.

Liang s’y prépare en tissant des partenariats scientifiques avec de grandes universités, comme Tsinghua et le MIT, échangeant chercheurs et bonnes pratiques via le programme « DeepSeek Fellow » qu’il a lancé en 2024.

Il a également noué des liens avec des fournisseurs de données (sociétés d’internet, bibliothèques nationales) pour alimenter ses futurs modèles.

Et, signe d’une certaine ouverture, DeepSeek collabore même sur certains projets open source avec des ingénieurs d’OpenAI ou de Google de manière informelle, sur des forums de développeurs, preuve que la frontière Sino-Ouest peut s’estomper à l’échelle de la communauté technique.

Quelle est la prochaine étape selon Liang ? Dans une note interne divulguée, il évoque « Terminus n’est pas la fin, juste un point d’étape ». On devine ainsi que DeepSeek-V4 ou R2 pourrait s’inspirer de Terminus (nom qui signifie fin de parcours) pour rebondir vers autre chose.

En octobre 2025, des bruits courent sur un événement que DeepSeek préparerait pour le début de l’année 2026, où Liang Wenfeng pourrait annoncer une feuille de route complète vers l’AGI, détaillant les progrès attendus sur les trois prochaines années.

Si cela se concrétise, ce serait un moment charnière : la jeune pousse, après avoir prouvé sa valeur, se projette alors comme un leader assumé de la quête de l’intelligence artificielle générale.

Liang Wenfeng, que Forbes a placé dans son classement Asie des « tech billionnaires » de l’année, semble quant à lui peu enclin à se reposer sur ses lauriers – ou ses milliards virtuels.

Il a conservé son bureau au milieu des ingénieurs, il continue de coder et d’écrire des articles scientifiques sous pseudonyme, dit-on, tant il veut garder le contact avec la technique.

Une humilité qui tranche avec l’ego de certains magnats de la tech, et qui pourrait bien être l’atout secret de DeepSeek : derrière la machine, la vision d’un homme qui croit dur comme fer à un futur où l’IA profitera à tous, et qui s’emploie méthodiquement à rendre ce futur possible.

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